Chère
Marie–Monique, chers tous,
Nous sommes aujourd’hui
rassemblés, famille, amis, admirateurs de Marie-Monique Robin, pour fêter tous
ensemble la reconnaissance officielle qui est conférée à son œuvre et à sa
personne par l’octroi de la légion d’honneur. Et je dois dire que je suis
extrêmement fière que ce soit à moi qu’échoit la responsabilité d’expliquer
pourquoi elle en est particulièrement digne.
C’est par là que je voudrais
commencer, avant de revenir sur les raisons pour lesquelles, lorsque Marie-Monique
m’a proposé, un soir de décembre, de lui remettre cette décoration ici, à
Notre-Dame des Landes, j’ai tout de suite accepté.
Tu m’as raconté Marie Monique,
combien les lieux et les proches qui ont abrité ton enfance avaient été déterminants
pour ton œuvre : tu as grandi dans la ferme de tes parents, agriculteurs
engagés et descendants d’une lignée d’amoureux de la terre depuis le 17ème
siècle où tu as vu s’opérer la rationalisation de l’agriculture traditionnelle
au cours de la Révolution verte. Ils t’ont transmis non seulement la passion de
la terre mais aussi celle de l’engagement. Ils étaient membres de la Jeunesse Agricole
Catholique ; tu mettras à ton tour ton désir de justice
au service de
plusieurs causes que tu défendras farouchement.
En 1985, à la fin de tes études
de journaliste, tu pars au Nicaragua pour soutenir la révolution et tu produis,
quelques années plus tard, un documentaire consacré à Cuba et plus
particulièrement à la prévention du Sida, Sida
et Révolution. Tu ne cesseras ensuite, dans les films et livres que tu as
réalisés, en étroite association avec ton mari, de promouvoir les droits
humains fondamentaux et – c’est là que ta personnalité se précise – de dénoncer
tous ceux qui font obstacle à leur promotion et leur épanouissement.
En 1995, tu présentes Voleurs d’yeux, la version courte de Voleurs d’organes, qui dénonce le vol
d’organes sur des enfants en Colombie au profit d’hôpitaux nord-américains, et
qui reçoit le prix Albert Londres, la distinction la plus haute de la profession. Déjà
dans ce documentaire se mêlent les traits caractéristiques de ton œuvre :
la révolte que t’inspirent les atteintes à l’intégrité des personnes guidées
par la soif du profit ou l’idéologie ; la rigueur dans la construction de
la preuve – sur quoi viendront chaque fois se briser les tentatives de remise
en cause de tes démonstrations - ; la puissance rationnelle et
émotionnelle de ta dénonciation des personnes ou des organisations qui
contribuent à défaire les équilibres que les communautés humaines ou la nature
ont souvent mis des siècles à construire patiemment.
En 2003, tu mets ton glaive – tu
as fait tienne la devise d’Albert Londres : « porter la plume dans la
plaie » – au service de
la cause des disparus d’Argentine, en montrant comment des Français ont
enseigné à la dictature argentine les techniques de la guerre moderne, non
conventionnelle, expérimentées en Algérie. Le film, Escadrons de la mort, l’école française, démontre, grâce à
l’obtention des témoignages bruts des principaux acteurs de ce drame, comment
les militaires argentins ont été formés aux méthodes françaises de la torture
et du renseignement et comment les « disparitions » ont été
méthodiquement organisées. Tu prends des risques : tu te fais passer pour
une jeune femme d’extrême droite, tu te jettes dans la gueule du loup…Le film
provoque en Argentine une commotion nationale et permet l’ouverture de procès
que l’on n’espérait plus. Les très nombreux articles consacrés à ce film le
mettent bien en évidence : il a joué le rôle d’une véritable catharsis
nationale, et a été l’instrument, comme l’étaient les pièces de théâtre dans la Grèce Antique, d’un
retour sur soi, d’une mise à vif de l’abcès et d’une réconciliation nationale.
Voici donc un autre trait majeur de ton œuvre : loin de se contenter
d’offrir à nos sociétés un reflet plus ou moins fidèle, et plus ou moins
complaisant, d’elles-mêmes, elle se place au service de l’expression de la
vérité, elle vise à mettre au jour ce que l’on ne voulait pas voir, à le mettre
sur la table et à permettre ainsi, pour tous ceux qui le souhaitent,
d’alimenter la délibération publique, de conforter l’espace public tel qu’il a
commencé à être envisagé au 18ème siècle : un espace de
« publicité » où les citoyens bien informés peuvent participer à
l’élaboration de la loi, et contribuer réellement, quotidiennement, patiemment
au tissage, au maintien, au renforcement du lien qui les unit.
Tu me l’as dit, tu ne conçois ce
métier de journaliste que comme la mise en œuvre permanente d’un idéal – ce que
le métier est en soi, et ce qu’il devrait être mais qu’il est en réalité si
peu : le quatrième pouvoir, cet indispensable pouvoir, sans lequel les
trois autres ne peuvent pas subsister, ne peuvent que dysfonctionner. Une pièce
maîtresse donc, de notre démocratie. Une condition sine qua non de sa permanence. Ta conception du métier est un
véritable défi lancé à tous ceux qui, possesseurs d’une carte de presse et
ayant embrassé cette profession, mettent celle-ci au service des intérêts particuliers
et, ce faisant, contribuent à la défaite de la démocratie. Rien
de plus édifiant à ce sujet que tes trois derniers films, qui forment à mes
yeux une trilogie d’une incroyable force.
En 2008, tu réalises Le Monde selon Monsanto – De la dioxine aux
OGM, une multinationale qui vous veut du bien, qui sera suivi en 2010 de Notre poison quotidien, puis en 2012 de Les Moissons du futur. Je parle d’une trilogie parce que ces trois
films reviennent, de manière obsédante, sur les mêmes questions lancinantes,
qui sont aujourd’hui autant de défis auxquels sont confrontées nos sociétés :
comment éviter la marchandisation complète du monde et la privatisation des
droits fondamentaux tels le droit à l’alimentation ou le droit à cultiver ses
terres. Comment s’opposer aux multinationales qui, sous couvert d’efficacité –
elles seules seraient en mesure de nourrir les neuf milliards de femmes et
d’hommes que comptera notre planète en 2050 -, imposent leurs méthodes, leurs
produits aux effets inconnus, leurs semences brevetées aux agriculteurs du
monde entier au nom de l’efficacité et sont en train de s’approprier le cœur de
la vie – l’alimentation – pour en faire le nerf de leur guerre ?
Je parle d’une trilogie parce
que, je ne sais si tu l’avais conçu ainsi, les trois films constituent un
ensemble démonstratif très puissant, précisément capable de s’opposer – alors
qu’à première vue on a plutôt l’impression de la lutte de David contre Goliath
– à l’armada et à la débauche de moyens dont disposent ces firmes, guidées par
le seul souci de court terme d’augmenter leur profit et de maximiser les
quantités vendues sous prétexte de rendements plus élevés. Dans cette lutte à
armes inégales, tu disposes d’atouts de taille : ta souplesse (tu sautes allègrement
d’un point à l’autre du globe : il faut aller vérifier un point en Inde,
allons y, chercher un document à l’autre bout de l’hémisphère, partons sans
tarder, entendre un témoin éloigné, allons à sa recherche) ; ta
rigueur : tu fabriques de longues chaînes de raisons à la Descartes, - tu
n’es pas française pour rien -, et aucun maillon ne manque ; ton
courage : tu t’attaques à des intérêts extrêmement puissants, mais rien ne
t’arrêtes, alors même que tu sais très bien qu’avec les moyens dont elles
disposent, les multinationales dont tu remets les comportements en cause
peuvent non seulement s’attacher les services de cohortes d’avocats mais
surtout – et c’est ce que tu montres magnifiquement – s’acheter les études et
les experts qu’elles souhaitent et s’attacher la bienveillance des autorités de
régulation. Ton opiniâtreté aussi, qui te pousse à chercher le moindre indice,
à vérifier le moindre élément, à rechercher les témoins, tous ceux qui ont été
écartés, tous ceux que, comme en Argentine, on a voulu empêcher de parler. Tu
redonnes, grâce à ta ténacité, une voix, une visibilité à tous ceux que l’on
avait fait taire, parfois en les tuant, comme en Argentine, d’autres fois en
les licenciant, en les mettant à mort professionnellement. Tu fais preuve d’une
infinie patience en allant rechercher tous ces témoins bâillonnés auquel tu
redonnes tout à la fois la parole et leur dignité.
En leur donnant le moyen de
reprendre la parole, en exerçant vraiment ce beau métier de journaliste, en rendant
à celui-ci toutes ses lettres de noblesse, tu permets un double
approfondissement démocratique : d’abord, je l’ai dit, en menant une
enquête tellement précise, en amenant des informations qui étaient restées
tellement cachées, en démontrant de manière tellement impeccable, que tu exerces
pleinement ce quatrième pouvoir, que tu donnes à l’ensemble des citoyens les
moyens de savoir et donc de choisir. Tu les rends ainsi pleinement et
réellement citoyens. Tu leur rends leur pouvoir d’agir. Tu leur rends leurs
droits à eux aussi, mutilés qu’ils étaient par des medias qui trop souvent ne
songent qu’à remplir de mensonges notre temps de cerveau disponible. Mais tu ne
t’arrêtes pas là. Tu accomplis une autre prouesse : tu rends les citoyens
à leur tour en état de t’imiter, c’est-à-dire d’exercer eux-mêmes leur
vigilance et de mener l’enquête par eux-mêmes, comme toi. Tu constitues et tu
te mets d’ailleurs en scène comme un exemple. C’est ce que j’ai
particulièrement admiré dans Le Monde
selon Monsanto : toi, derrière ton ordinateur, montrant de la manière
la plus simple comment, lorsque l’on veut, on peut. Comment chacun d’entre nous
dispose de l’ensemble des moyens pour mener l’enquête. C’est à une véritable
entreprise d’éducation, de paideia que
tu nous a conviés avec Le Monde selon
Monsanto. Tu es filmée à ton ordinateur et tu nous dis, nous sommes
pareils, vous et moi. Regardez comment je fais, regardez comme c’est
facile, regardez comme vous pouvez le faire : je me pose une question, comme
vous, et voilà ce que je fais, je clique, je fais des liens, j’ouvre des
documents, je leur pose des questions, je tente de les faire parler. Certes
parfois je me déplace, je vais vérifier. Et cela tu continueras à le faire pour
nous. Mais ton message principal, me semble-t-il, c’est : le quatrième
pouvoir, - en réalité le premier -, c’est VOUS. Prenez le, exercez le, faites
valoir vos droits, soyez des citoyens pleinement engagés, saisissez vous de
tout ce que les moyens modernes de communication vous permettent de faire,
rendez vivante notre démocratie.
Pourquoi cette trilogie est-elle par
ailleurs si puissante, outre le fait qu’elle donne à chacun d’entre nous les
moyens et surtout l’envie de devenir un citoyen actif, un citoyen engagé, mais
aussi un professionnel engagé (je pense à tous ces chercheurs évincés qui nous
convainquent – si nous en avions encore besoin – qu’il n’est plus possible pour
un chercheur, de ne pas être engagé, de ne pas choisir son camp) ? Parce
que tu ne t’arrêtes pas à la dénonciation. Tu ne te contentes pas de montrer
la logique mortifère qui anime souvent ceux qui disent qu’ils nous veulent du
bien. Tu nous montres, tu nous démontres qu’un autre monde est possible, qu’il
existe d’autres branches de l’alternative, et, que, de surcroît, ces
alternatives, loin de constituer un retour en arrière, une vision étriquée de
la condition humaine et du progrès, un rétrécissement de nos aspirations, sont à
la fois les plus rationnelles (oui, on peut nourrir neuf milliards d’habitants
sans les faire périr d’ingestions massives de pesticides et d’OGM) mais aussi
les plus sensuelles, les plus riches en émotions, les plus désirables, les
moins desséchantes, celles qui nous permettent, en satisfaisant nos besoins
fondamentaux – dont le premier d’entre eux, se nourrir – de prendre soin de la
nature, de nos sociétés, et des liens qui les unissent.
Ton intérêt pour l’agro-écologie
et pour les méthodes agricoles traditionnelles perçait déjà dans le Monde selon Monsanto. On y voyait déjà
ces mexicains et ces indiens obligés d’abandonner leurs méthodes traditionnelles
pour succomber aux mirages des propagandistes de la Révolution verte. Les
alternatives étaient encore plus présentes dans Notre poison quotidien. Il n’est plus question que d’elles dans Les Moissons du futur, film gorgé de
sensualité qui s’ouvre sur un magnifique d’un champ de maïs doré, sous les
feuilles desquels se déploient de larges plantes conservant l’humidité et une
énorme citrouille rebondie, dont la coexistence tranquille a pour nom la milpa.
Tu nous montres pourquoi cela vaut le coup que nous nous
battions pour ce monde, qui n’est ni complètement le monde ancien, même s’il
renoue avec ce que les traditions avaient de meilleur, ni le monde moderne,
même s’il en garde aussi le meilleur. Ce que tu nous proposes, dans cette
réflexion très philosophique sur ce que nos manières d’organiser notre
alimentation révèlent de nos rapports à la nature, c’est une voie qui prendrait
pleinement en considération la nécessité de nourrir une population de plus en
plus nombreuse tout en ayant renoncé à ce que les méthodes modernes ont eu
d’excessif.
Tu nous proposes un autre modèle
qui vise à concilier qualité et quantité et qui renoue à la fois avec les
intuitions d’un Aldo Leopold qui écrivait dans son Almanach d’un comté des sables : « le kilo, le quintal et la tonne ne
sont pas l’unique mesure de la valeur nutritive des récoltes : les
produits issus d’un sol fertile peuvent être supérieurs, d’un point de vue
qualitatif aussi bien que quantitatif » et plus récemment avec les
démonstrations d’un Jean Gadrey
qui, dans Adieu à la croissance, nous
enjoint de substituer à la poursuite effrénée et exclusive de gains de
productivité (qui contribuent largement, nous le savons désormais, à la
destruction du sens du travail) la recherche raisonnée de gains de qualité et
de durabilité. Un autre modèle, un changement de civilisation, une bifurcation,
voilà ce dont ces auteurs, mais aussi toi, moi, nous tous ici réunis,
souhaitons l’avènement et connaissons l’urgence.
Et c’est bien pour cela que nous
sommes réunis ici. Soyons clairs. En venant ici, nous ne souhaitions en aucune
manière provoquer ou narguer, bien au contraire. Nous souhaitions consacrer à
ce lieu, aux évènements qui s’y sont déroulés, aux aspirations contradictoires
qui s’y sont exprimées, la réflexion qui convient. Nous souhaitions profiter de
la pause qui a été accordée par les récents rapports publics pour tenter de
comprendre la signification de ces conflits, pour leur conférer le sens qui
convient. Nous sommes persuadées qu’il s’agit d’un moment et d’un lieu
hautement symboliques, lourds de significations. Il s’agit peut-être d’un point
central dans l’histoire de notre pays, et qui sait, dans celle du monde. Un
point dans le temps et dans l’espace d’où pourrait s’organiser, où s’organise
peut-être déjà en ce moment, sous nos yeux, avec nous, grâce à vous, la
bifurcation tranquille que nous appelons de nos vœux. Cette bifurcation dont
nous savons que si elle ne commence pas ici et maintenant, il sera trop tard,
comme lorsqu’il s’agit de modifier la trajectoire d’un grand cargo très lourd
dont on doit organiser les mouvements et les réactions à l’avance.
Si nous sommes ici aujourd’hui,
tous calmement rassemblés, c’est parce que nous pensons que nous devons sortir
du raisonnement séquentiel dans lequel nos sociétés sont restées
enfermées : les pays occidentaux, et particulièrement certains pays
européens dont la France, sont confrontés à une crise économique et sociale
d’une extrême gravité. Pour sortir de cette crise, des prières montent vers le
ciel : Donnez nous, s’il vous plait, encore une fois, quelques points de
croissance. Et ensuite, c’est promis, nous accorderons l’importance qui
convient à la crise écologique dont nous percevons bien l’extension mais qui ne
peut être résolue qu’après. Ce que nous voulons dire aujourd’hui par notre
présence, c’est que c’est peut-être ici et maintenant que nous avons la
possibilité, l’occasion, kairos
disaient les grecs (le moment qu’il faut saisir), d’engager le grand
rebroussement dialectique qui nous permettra de résoudre à la fois la crise
économique et sociale et la crise écologique, qui nous donnera la possibilité
d’arrêter de remettre tous les jours au lendemain ce que nous pouvons faire le
jour même, qui nous autorisera à sortir de cette cage d’airain de la
consommation et de la production dont le grand sociologue Max Weber avait compris la
logique dans L’Ethique protestante et
l’esprit du capitalisme.
Ce qu’ont refusé ici des
collectifs très différents, collectifs d’élus, de paysans, de pilotes, d’avocats,
d’habitants, c’est le caractère excessif, disproportionné, pervers de la
logique qui s’est développée depuis le 18ème siècle dans le monde
occidental et qui a fait des quantités produites, du rendement à tout prix et
de la maximisation du profit le critère de réussite d’une société. Ce que soutiennent
les collectifs opposés à une certaine conception du développement économique –
celle là même qui conduit à la financiarisation du monde et à ses désastres -
c’est qu’il faut retrouver le sens de la mesure, de la limite, de la proportionnalité
des moyens aux fins poursuivies. Mais aussi qu’il est grand temps aujourd’hui,
même si d’autres pays semblent emportés dans la folie du développement à tout
prix, - ce pseudo développement qui met en coupe réglée la nature, les humains
et tout ce à quoi nous tenons - de faire une pause et de considérer les menaces
qui s’accumulent : de prendre au sérieux les rapports du GIEC ; les travaux
des scientifiques qui crient dans le désert ; les articles de plus en plus
inquiétants des chercheurs (je pense à l’article publié par la revue Nature en juin dernier, par 22 scientifiques qui
écrivent que nous sommes en train de franchir des seuils critiques et que « désormais
les humains dominent la Terre et la modifient selon des modalités qui menacent
sa capacité à nous supporter, nous et les autres espèces ») ; les avis
de la Commission
Stiglitz qui, dans la suite des critiques développées par
l’école française des nouveaux indicateurs de richesse dans les années 90, a reconnu officiellement,
que le PIB était un indicateur pervers, qui nous menait dans le mur et que nous
devions d’urgence changer d’indicateurs et de boussoles. Quand tirerons-nous
toutes les conséquences de ces rapports et des signaux de plus en plus nombreux
qu’envoient tous ces lanceurs d’alerte ? Quand serons-nous capables
d’opérer la véritable conversion qui convient à notre temps, de redéfinir le
progrès, de changer d’indicateurs, et de mettre au cœur de nos efforts et de
nos représentations ce qui compte vraiment, ce à quoi nous tenons le
plus ? Quand serons-nous capables comme l’écrivait Bertrand de Jouvenel
dès 1957 dans des textes d’une incroyable actualité, de devenir les jardiniers
de la Terre ?
En nous arrêtant ici aujourd’hui,
si nombreux, après les chaînes humaines et les appels à un changement de modèle
de tant d’autres citoyens, nous tentons, à notre modeste niveau, de contribuer
à l’engagement de notre pays dans la Grande bifurcation. Et si nous le faisons
seuls, si nous le faisons les premiers, c’est peut-être que nous aurons été
capables, une nouvelle fois, de montrer l’exemple au reste du monde, de mettre
en évidence que l’on peut prévenir l’avènement des catastrophes, et que la
raison peut triompher. Non pas la raison calculante et desséchante dont
Horkheimer et Adorno avait montré l’extension et la contribution à l’avènement de
la barbarie mais la raison sensible, cette raison qui n’envisage pas l’homme
comme transcendant la Nature mais comme faisant partie d’elle, cette raison
incarnée, vivante, joyeuse. Cette raison, chère Marie Monique dont tes films et
tes livres font l’apologie. Cette raison dont les philosophes des Lumières
avaient fait leur emblème et que tu contribues à défendre, comme le mot d’ordre
de l’époque : Sapere Aude, Ose
savoir. Pour tout cela, chère
Marie-Monique, nous voulons te remercier.