DOSSIER DE PRESSE
Le collectif des Naturalistes en lutte (http://naturalistesenlutte.overblog.com/) s’est créé il y a un an pour effectuer une contre-expertise dans le cadre du projet de Notre-Dame-des-Landes. Regroupant de nombreux experts dans leurs disciplines respectives, il a mené ses propres inventaires.
Le résultat est accablant pour les études qui fondent les arrêtés préfectoraux du 20 décembre autorisant la destruction d'espèces protégées. Pour minimiser l'impact environnemental, les porteurs du projet se sont contentés de rechercher les espèces protégées les plus probables, dont la présence est difficile à cacher ! Les multiples oublis et les biais de calculs relevés par les naturalistes en lutte sont mis à disposition des associations qui déposeront des recours auprès du tribunal administratif ainsi que de la presse. À ce propos, il faut noter que les travaux ne pourront pas commencer avant la parution de l’arrêté autorisant aussi la destruction des populations de campagnol aquatique, espèce protégée présente sur toute la zone (sachant que l’avis obligatoire du CNPN ne sera pas rendu avant le 16 janvier).
Voici quelques exemples d'observations introuvables dans les dossiers officiels et réalisées par les naturalistes : plus de 550 espèces d'invertébrés dont 10 encore non répertoriées en Loire-Atlantique ; 3 plantes protégées, 40 mares supplémentaires, 3 espèces d'oiseaux d’intérêt patrimonial, etc.
Mais la Préfecture fait obstacle au constat officiel de leur présence...
Il n'y a pas qu'en Amazonie où on détruit la biodiversité, on le fait aussi en France, avec la protection de l’État.
SIGNATURE DES ARRETES PREFECTORAUX DU 20 DECEMBRE 2013
Ce vendredi 20 décembre, le préfet de la Loire-Atlantique et de la région Pays de la Loire a signé quatre arrêtés autorisant la destruction des espèces protégées dans le cadre du projet d’Aéroport du Grand Ouest, à Notre-Dame-des-Landes.
En France, la destruction des espèces protégées et de leurs habitats est possible mais elle est encadrée par la Loi. Des arrêtés préfectoraux autorisant ces destructions sont pris par les préfets, mais pour cela plusieurs conditions doivent être respectées.
Parmi ces conditions, il est nécessaire entre autres que le projet :
- soit d’intérêt public majeur. Or des études menées par les opposants au projet (http://acipa.free.fr/) ont montré que l’intérêt public majeur n’est pas justifié ;
- n’ait pas d’alternative possible. Or ces mêmes études montrent qu’il existe des alternatives au projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes dont notamment Nantes-Atlantique ;
- ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition. Pourtant le projet prend place selon les études des maitres d’ouvrage sur des zones majeures pour plusieurs espèces (Triton marbré, Campagnol amphibie, etc.). De plus, ces espèces sont liées aux zones humides et ont donc un peu de mal à vivre dans le béton !
Le Ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables avait pourtant précisé aux préfets par une circulaire en 2008 les modalités de l’application du code de l’Environnement concernant les arrêtés préfectoraux portant dérogation, entre autres, aux interdictions de destruction de spécimens d’espèces protégées. Il était notamment demandé des études sur l’impact écologique des projets complètes et sérieuses.
Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, les études, commanditées par AGO et la DREAL, se caractérisent par un temps consacré aux inventaires naturalistes insuffisant et des périodes d’inventaires souvent inadaptées (campagnol amphibie, poissons, oiseaux migrateurs…). Il en est de même pour la géologie, support des écosystèmes, bien que l’étude à large échelle ait été jugée comme suffisante par les maitres d’ouvrages. Elles se traduisent par un inventaire incomplet de la faune, de la flore et des habitats naturels.
Les compensations écologiques sont obscures et inapplicables, et, quand bien même elles seraient appliquées, elles seraient inefficaces.
Le préfet de la Loire-Atlantique a passé toutes ces dernières semaines à dire dans les médias que les espèces protégées allaient être transférées.
D’une part, le transfert des espèces ne concerne que quatre espèces, dont trois à titre de mesure expérimentale, et une seulement à visée compensatoire.
D’autre part, elle est limitée à seulement quelques individus des populations de ces espèces.
Fioriture quand on sait que le site accueille plus d’une centaine d’espèces protégées dont des milliers d’individus pour le seul Triton marbré !
Les avis émis les 9 et 10 avril 2013 par le Collège des experts scientifiques (créé à la demande du Premier ministre) et le comité permanent du Conseil national de la protection de la nature (instance du Ministère de l’environnement) ont confirmé toutes ces insuffisances et ces aberrations !
Les Naturalistes en lutte et des associations ont répondu aux consultations publiques et ont communiqué à la préfecture les évidentes faiblesses du dossier.
Ces arrêtés s’appuient sur des études incomplètes et lacunaires. Ils font fi des instances de consultation. Ils s’exposent donc fortement à des contentieux juridiques. Nous assistons à un véritable déni de la démocratie, que se traduit par un passage en force et des manœuvres politiques.
DETAILS SUR L’INCOMPLETUDE DES ETUDES : UN CONSTAT SANS APPEL !
Les services de l’État, juge et partie dans le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ont qualifié d’exemplaire l‘étude menée par le cabinet Biotope et ses sous-traitants et souhaiteraient en faire un modèle pour les futures études d’impact. C’était sans compter sur le travail des Naturalistes en lutte.
En effet habituellement, quasiment personne ne retourne sur le terrain vérifier la véracité des études d’impact, au mieux la contestation porte sur des données déjà connues. Mais cette fois devant l’ampleur de l’impact et la méthode de compensation mise en œuvre, des naturalistes se sont mobilisés et ont pendant une année réalisé une véritable contre-expertise afin de vérifier le travail réalisé par les bureaux d’études.
Et le bilan est accablant !
L’état initial est lacunaire, de nombreuses espèces protégées, observées par les Naturalistes en lutte n’ont pas été identifiées et pire encore, pas même recherchées ! Il en va de même pour les habitats de zones humides dont les surfaces au regard de l’étude de la végétation ont été fortement sous-estimées.
Voilà dans les grandes lignes quelques éléments de la contre-expertise :
- Hydrogéomorphologie : la ZAD est sur une unité hydro-géo-morphologique remarquable où le facteur eau est omniprésent : 9 têtes de bassins versants, 7 sur le bassin versant de la Vilaine via l’Isac, 2 sur le bassin versant de la Loire, via la Gesvres et le Hocmard. Or, la ZAD est juste située sur la zone d’échange entre ces bassins. Une situation rare et d’importance puisque de la qualité en eau des têtes de bassin dépend le fonctionnement des parties avales.
- Habitats naturels : les Naturalistes en lutte ont réalisé 103 relevés phytosociologiques[1] sur l’ensemble de la ZAD alors que le cabinet Biotope s’était contenté de 37 relevés comprenant de nombreuses erreurs de rattachement soulevées par le comité d’expertise scientifique[2] . Cela a permis d’identifier 34 habitats dont 11 habitats d’intérêt communautaire (protégés par une directive européenne) alors que le dossier initial n’en référence que 6. Parmi ces habitats on peut noter un ensemble remarquable de végétations aquatiques et amphibies d’une grande rareté et qui trouvent ici une zone refuge alors que ces habitats sont aujourd’hui dégradés dans quasiment toutes les autres grandes zones humides de Loire-Atlantique (notamment du fait de l'écrevisse de Louisiane et des jussies, espèces absentes de la ZAD). Que dire des prairies oligotrophes, milieux en raréfaction généralisée du fait de l'agriculture intensive, dont la superficie a été complètement sous estimée et dont une grande partie a été identifiée par le cabinet Biotope en tant que simple prairie mésohygrophile[3] ! Les relevés phytosociologiques réalisés par les Naturalistes en lutte révèlent que ces parcelles classées dans une catégorie assez banale s’avèrent être des prairies oligotrophes et des bas marais d’intérêt européen ! La surface estimée pour ces prairies est bien supérieure aux 8 hectares cartographiés par le cabinet Biotope !
- Bocage : 169 km de haies répertoriées ; plus de 120 mètres de haie par hectare recensés dont 66 % de haies sur talus alors que le dossier initial évalue un linéaire de haie de 90 à 100 mètres par hectare. Un bocage remarquable mixte à chêne pédonculé et chêne tauzin présentant une végétation oligotrophile[4] d’intérêt patrimonial fort. En effet ces talus ont été réalisés lors du défrichement de la lande au milieu du 19ème siècle, avec une terre non amendée ayant permis à une végétation spécifique de s’y implanter. Alors, que dire des mesures compensatoires prévoyant des plantations de haies sur talus à partir de terre enrichie depuis des années par des apports d’intrants ?
- Végétaux : plus de 335 plantes vasculaires identifiées par les Naturalistes en lutte dont 12 plantes considérées comme rares et menacées pour les Pays de la Loire. Trois nouvelles espèces protégées identifiées. Ces espèces n’ont même pas été recherchées lors de l’état initial, les dates de prospection du cabinet Biotope ne permettant pas de les observer. Les mousses ne sont pas en reste puisqu'un inventaire partiel a déjà permis de recenser 82 espèces dont deux sont nouvelles pour la Loire-Atlantique et deux autres très rares en Pays de la Loire, caractérisant des milieux tourbeux. Six espèces de sphaignes ont également été inventoriées.
D’autres groupes sont en cours d’étude, comme les lichens, avec 87 espèces inventoriées dont deux sont nouveaux pour la Loire-Atlantique, ou encore les myxomycètes …
- Invertébrés : l’identification des invertébrés fait appel à de nombreux spécialistes reconnus au niveau régional ou national et demande beaucoup de temps. Les résultats à ce jour restent encore très partiels, mais ce sont déjà 550 espèces d’invertébrés qui ont été identifiées (le résultat final est estimé à plus de 1000 espèces) montrant une très grande diversité. On peut noter la présence de nombreuses espèces rares et menacées dont déjà 9 espèces nouvelles pour la Loire-Atlantique, par exemple la découverte de deux nouveaux hyménoptères : Dolerus pratensis et Priocnemis exaltata.
- Oiseaux : 2715 données enregistrées sur 8 mois, 111 espèces observées, 76 espèces nicheuses, 88 espèces protégées dont certaines classées en priorité régionale élevée.
- Reptiles : plus de 686 contacts avec l’observation de 136 individus de lézard vivipare contre quelques dizaines d’individus observés sur trois années de prospection par le cabinet Biotope. L’atlas des reptiles de Loire-Atlantique de 2011[5] indique seulement 19 stations en Loire Atlantique et seulement 26 témoignages. La population de lézard vivipare sur la ZAD est exceptionnelle, sans doute d’importance départementale voire régionale et à fort enjeu du fait de sa situation à la jonction des bassins versants de la Loire et de la Vilaine.
- Amphibiens : confirmation d’une population de tritons marbrés d’importance départementale avec encore 15 nouvelles stations découvertes par rapport aux données des maîtres d’ouvrage notamment dans les secteurs prévus pour la compensation, bizarrement vides de grands tritons au regard des inventaires initiaux. Mise en évidence d’une sous-estimation de la population de triton crêté dû à sa faible détectabilité avec 5 nouvelles stations par rapport aux données initiales. Confirmation de la présence du triton de Blasius sur la ZAD, il est protégé et n’a pas été observé par le cabinet Biotope. Il est pourtant bien présent dans au moins 7 mares, ce qui soulève de graves interrogations quant à la connaissance de l’espèce !
- Mammifères : présence d’une population de campagnol amphibie d’importance départementale avec des densités très importantes indiquant le rôle de zone « source » pour la dissémination de l’espèce sur les bassins versant de la Loire et de la Vilaine. L’inventaire réalisé pour le compte des porteurs de projet a été effectué à la pire période pour l’espèce, en septembre, et en seulement 5 jours pour plus de 1400 ha !
Une sous-estimation massive des gîtes à chauves-souris : en effet, plus d'arbres que ceux mentionnés par l'expertise des bureaux d'études peuvent accueillir ces animaux. De plus, plusieurs habitations ont déjà été détruites sans qu'aucune expertise n'ait été réalisée au préalable.
- Poissons : absence de prospection pertinente, les prospections ont été réalisées en période d’assec. Les naturalistes en lutte dénombrent déjà 5 espèces. Cet élément est pourtant à prendre en compte sur les secteurs en tête de bassin versant.
Pour la première année de prospection des Naturalistes en Lutte, ce sont donc :
- 13 espèces nouvelles pour la Loire-Atlantique, c’est-à-dire connues à ce jour en Loire-Atlantique uniquement dans la ZAD ;
- 6 espèces supplémentaires, rares et protégées par la Loi, non observées par les porteurs de projet.
En conclusion
Au regard de ces résultats, le travail d’état initial ne devra plus jamais être regardé de la même façon. Il est clair que les maîtres d’ouvrage n’ont pas tout mis en œuvre pour permettre aux bureaux d’études de réaliser un état initial pertinent et que le jeu des marchés allant vers le mieux disant entraîne en fait un choix vers le moins prospectant et donc le moins handicapant pour le projet. Ce constat devrait servir à la refonte des cahiers des charges servant de base aux études d’impact.
L’ensemble du dossier est à revoir : comment en effet pourrait-on se satisfaire de cet inventaire incomplet, partiellement faux et réalisé à des périodes non favorables pour certains groupes d’espèces ?
Alors que le CNPN et la commission scientifique avaient déjà demandé des compléments d’études d’au moins deux années, le travail des Naturalistes en lutte montre aujourd’hui l’écart immense entre l’état initial ayant servi de base à l’évaluation des impacts et à l’élaboration des mesures compensatoires, et les premiers résultats d’une année d’inventaire.
Le travail des Naturalistes en lutte n’est encore que partiel, car malgré une pression d’observation importante, les conditions météorologiques du printemps 2013 n’ont pas permis de réaliser des inventaires satisfaisants. On peut considérer que tous les groupes étudiés sont sous-évalués et nécessitent au minimum une année de prospection complémentaire. Il reste encore énormément à découvrir sur cette zone, vestige d’une diversité biologique inestimable et irremplaçable.
Aucune étude de cette ampleur n’avait encore été réalisée sur un secteur de bocage humide, elle permet aujourd’hui de mieux appréhender la richesse biologique de cet écosystème et demain, espérons le, pourra servir de base à une gestion partagée de la zone, entre une agriculture raisonnable et une biodiversité remarquable.
__________________________
- Discipline qui étudie les communautés végétales, en se basant sur des listes floristiques
- Rapport collège des experts – annexe 5 pages 70-71
- Moyennement humide
- Végétation affectionnant les milieux particulièrement pauvres en éléments nutritifs. Ces types de milieu sont devenus très rares (du fait notamment de la généralisation des engrais) et abritent donc des espèces particulièrement rares.
- Grosselet,O., Gouret, L. & Dusoulier, F. (coor.) (2011) – Les Amphibiens et les Reptiles de la Loire Atlantique à l’aube du XXIe siècle : identification, distribution, conservation. Éditions De mare en mare, Saint-Sébastien-sur-Loire. 207p.
PLUS QU’UNE OPPOSITION A UN PROJET, C’EST UN CHOIX DE SOCIETE QUI EST EN JEU
Les Naturalistes en lutte se sont constitués dans le projet d’établir un constat circonstancié de l’existant sur le site de Notre-Dame-des-Landes, afin de confronter ces résultats à ceux dressés par le maitre d’ouvrage. Contrairement à ce que nous pouvons lire dans la presse, nous ne nous sommes pas créés autour d’une opposition anti-capitaliste mais dans un élan constructif d’inventorier le vivant et de le porter à connaissance. Notre démarche s’inscrit dans un choix de société, celle qui favorise une agriculture respectueuse de l’environnement, une production associée à la biodiversité. Nous sommes aussi sensibles au respect des lois, notamment du code de l’environnement. Ainsi, au regard de ce qui se passe autour de ce projet d’aéroport, nous nous inscrivons dans un processus diamétralement opposé à ce qu’affiche aujourd’hui les services de l’État.
Plus encore, se pose la question de la cohérence de l’État entre ses différentes politiques !
Face aux déclins de nombreuses espèces, l’État et les différentes collectivités ont mis en place des plans d’actions pour permettre la restauration de ces espèces. Le projet d’aéroport se situe sur une zone majeure pour certaines d’entre elles, de l’aveu même des études des maîtres d’œuvre. Pourquoi détruire alors ces noyaux de population pour ensuite financer ailleurs des actions de conservation ?
Le Ministre de l’Agriculture a présenté lors d’une conférence nationale son projet agro-écologique. Les inventaires des Naturalistes en Lutte ont montré toute la biodiversité que ce bocage comportait. L’agriculture de Notre-Dame-des-Landes a permis de maintenir une grande biodiversité, pourquoi alors la détruire pour ensuite la remplacer par du béton ? Et surtout, pourquoi dépenser de l’argent public pour reconstituer la biodiversité à grand renfort dans des zones sinistrées alors que là où elle existe, spontanément, avec des écosystèmes anciens et complexes, le même État la détruit ?
L’État développe des politiques, en continu depuis ces dernières décennies pour préserver les zones humides car elles rendent des services écologiques à l’Homme. Le projet d’aéroport se situe sur une zone qui est un château d’eau, chapeautant neuf têtes de bassins versants.
Qui paiera les services écologiques des zones humides une fois bétonnées ? VEOLIA ? Et donc nous !
Pour toutes ses incohérences, c’est la double peine pour le contribuable français !
Sur le plan de la justice et du droit, nous avons aussi une dualité, ressemblant fort à une double entorse. Comme le rappelle Christian Godin :
- est légal ce qui est conforme à la loi positive, ou la loi telle qu’elle existe.
- est légitime ce qui est conforme à la loi idéale, celle qui va dans le sens de justice.
Dans ce dossier, il n’y a ni légalité, ni légitimité. Pour cette raison, ce projet ne peut et ne doit être engagé sous la bannière de la République, sans apporter un discrédit conséquent et durablement néfaste au devenir de la société française.