Monsieur le Ministre de
l’Intérieur,
Je vous ai entendu commenter dès samedi
soir les événements en marge de la manifestation contre l’aéroport de Notre Dame des Landes et vos
propos appellent de ma part quelques réactions
et aussi plusieurs questions.
Sur les chiffres d’abord : vous avez
parlé de 1000 casseurs et de 20 000 manifestants dont vous avez dit qu’il fallait les différencier des premiers. Je
crois décidément que vos services ont un
problème avec le calcul car nous étions beaucoup plus de manifestants et il y
avait beaucoup moins de casseurs : disons qu’on
pourrait diviser le premier chiffre et multiplier le second par deux au moins pour approcher de la vérité.
Mais dans cette affaire d’aéroport, la vérité
est décidément malmenée depuis longtemps…
Sur les fameux casseurs : je vous avoue
que j’ai été très surprise de comprendre que vos services les connaissaient visiblement bien (vous avez donné
des précisions sur leur origine, leur
positionnement politique) et même qu’ils savaient ce qui allait se passer.
Depuis deux jours, les bruits couraient sur des
incidents à venir ; les avocats savaient qu’ils risquaient d’être réquisitionnés pour de nombreuses gardes à vue. Samedi
matin, au moment où nous étions avec les
tracteurs à l’aéroport de Nantes-Atlantique, les policiers présents nous ont
spontanément parlé des « blacks blocs », en
nous disant « qu’ils allaient gâcher notre manifestation ».
Je m’étonne donc que « les forces de
l’ordre » n’aient pas été au fond plus efficaces puisque cela aurait dû être leur mission, n’est-ce pas ? Puisque
l’on sait désormais interdire un spectacle
avant même qu’il n’ait lieu, et puisque nous n’avons pas sur la ZAD 1000
casseurs ni blacks blocs, pourquoi ne les
avez-vous pas fait arrêter avant leur arrivée ? J’imagine que s’ils sont si dangereux, vous avez certainement des preuves
et même des faits graves à leur reprocher
?
Mais peut-être préfériez-vous les
arrêter en flagrant délit ? Est-ce pour cela que vous n’avez pas fait protéger l’agence Vinci, située au tout début du
parcours de la manifestation, pas plus que des
engins de chantier Vinci aussi (car Vinci est partout vous le savez,
immobilier, parkings, aéroports…) dont vous
saviez qu’ils seraient forcément des cibles ? Est-ce pour cela que la Préfecture n’a autorisé qu’un parcours
ridiculement petit, jamais vu jusque là ?
Est-ce pour cela que les échauffourées localisées dans un périmètre pourtant
restreint ont duré plusieurs heures ? Et au
bout du compte combien y a-t-il eu d’interpellations ? Une douzaine seulement…C’est assez curieux et à vrai dire difficilement
compréhensible alors que les moyens déployés
étaient impressionnants, en hommes et en matériel anti-émeute, alors
que la fermeture du centre ville était inédite,
alors qu’il y avait vraisemblablement des hommes à vous des deux côtés.
Évidemment les images de « la guérilla
urbaine » dont vous avez parlé seront reprises à l’envi plus que celles du char-triton, des 520 tracteurs présents
ou des nombreuses familles manifestant
paisiblement. Évidemment, cela permettra d’occulter une fois encore le fond du
dossier, évidemment le chœur des partisans de
l’aéroport poussera des cris horrifiés en rejetant la responsabilité sur les organisateurs de la
manifestation.
Organisateurs qui ont pourtant tenté
d’éviter l’affrontement en interposant des tracteurs entre l’imposant mur de fer érigé et ceux qui voulaient
effectivement en découdre.
Organisateurs dont le métier n’est pas
d’assurer l’ordre, vous en conviendrez et à qui il serait malvenu de demander de faire mieux que vous… Organisateurs
particulièrement choqués, en tout cas, par les
propos du Préfet de Loire-Atlantique qui n’a pas hésité à affirmer que nous
« opposants historiques » devions cesser «
d’être la vitrine légale d’un mouvement armé ». Je me suis pincée pour y croire…encore un peu de temps et nous
finirons nous-mêmes par être tenus pour de
dangereux terroristes alors que nous avons participé loyalement au débat public,
et à toutes les commissions mises en place.
Débat déloyal puisqu’il y a une « vérité officielle » intangible même quand elle est contraire aux faits,
aux chiffres et à la réalité. Le Premier
Ministre ne reconnaît la validité que de la commission du dialogue à qui il
avait donné mission de valider à nouveau le
projet, mais refuse de regarder les conclusions accablantes de la commission des experts scientifiques au regard de
la loi sur l’eau. Comment croire encore à la
parole de l’État ?
En réalité, Monsieur le Ministre, tout
cela est très lisible et vieux comme le pouvoir.
Pour discréditer notre combat, et tenter
de retourner l’opinion publique qui nous est aujourd’hui favorable, on fera appel à la peur du désordre, on
utilisera l’image, déplorable je vous
l’accorde, des dégradations commises par les méchants casseurs et on justifiera
ainsi une nouvelle opération policière pour
aller enfin nettoyer la ZAD de ses « délinquants dangereux », en même temps que de ses tritons et de ses paysans. Il
faudra mettre les moyens (ils sont mille, ne
l’oublions pas, et les tritons innombrables…) mais vous y êtes peut-être
prêts pour que « force reste à la loi »?
Permettez-moi de vous le déconseiller car pour que nous, citoyens, acceptions désormais cette clef de voûte théorique
de la société, (« la seule violence légitime
est celle de l’État »), il faudrait que l’État soit irréprochable, que la loi
soit juste et que ses représentants soient
dignes du mandat que nous leur avons confié. Vous avez compris, je pense, que ce n’est pas le cas depuis
longtemps.
Depuis deux jours, j’ai lu et entendu
que le centre ville de Nantes était « saccagé », qu’un commissariat avait été « dévasté », qu’il faudrait du temps
pour « panser les plaies de la ville », que les
dégâts ne pouvaient pas encore être chiffrés, autant dire que c’était
l’apocalypse. Les mots eux-mêmes sont
visiblement sens dessus dessous... Puis-je vous suggérer de venir à Nantes pour juger de la situation ? Aujourd’hui
dimanche, flottait certes une petite odeur de
gaz lacrymogène, mais le tramway roulait et les nantais flânaient. Je ne
nie pas les poubelles brûlées, les pavés
arrachés, les vitrines brisées et les murs maculés dans le secteur des affrontements. Je déplore ce vandalisme d’autant
plus que nous dénonçons par ailleurs le
gaspillage d’argent public qu’induirait le transfert de l’aéroport !
Mais je voudrais aussi vous rappeler que
samedi des personnes âgées, des enfants ont été
noyées sous les lacrymogènes. Et qu’un jeune manifestant a perdu un oeil à cause
d’un éclat de grenade assourdissante. Ce
n’était pas un casseur. Et cela nous rappelle le même malheur survenu déjà à Nantes, à cause d’un tir tendu de flash ball
lors d’une manifestation sans violence devant
le Rectorat. Les aubettes seront reconstruites, cela fera même monter le
P.I.B mais ce jeune restera, lui, marqué à
jamais. Cela m’interroge sur la manière dont les forces de l’ordre utilisent leurs armes et me scandalise davantage
que la casse matérielle. Et demain, si le
gouvernement persistait dans son projet d’aéroport, la destruction du bocage de
Notre Dame des Landes et de la vie qu’il abrite
serait elle aussi irréversible.
Il faut arrêter un projet désormais dans
l’impasse et régler le problème en prenant la seule décision raisonnable : respecter la loi sur l’eau, améliorer
l’aéroport de Nantes-Atlantique et rendre sa
sérénité à Notre Dame des Landes pour que la ZAD redevienne une campagne où vivre et travailler. Vous pourrez ainsi,
Monsieur le Ministre, vous consacrer aux blacks
blocs si vous le jugez indispensable.
Dans l’espoir de votre réponse, je vous
assure de mes salutations les plus distinguées,
Françoise Verchère,
Conseillère générale de
Loire-Atlantique
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