Ajout 28/01/2013 :
Suite à ce témoignage, Gilles Sainati, du Syndicat de la magistrature, a répondu par quelques remarques et en donnant le lien vers l'une de ses conférences ; le titre, du légitime au légal, est explicite mais il redonne à cette occasion de nombreux rappels, définitions... C'est un bon outil, très clair. :
http://blogs.mediapart.fr/blog/gilles-sainati/150611/du-legitime-au-legal
N.B. le Syndicat de la Magistrature est membre fondateur d'ATTAC, l'association ATTACétant composée de personnes physiques, mais aussi d'un certain nombre d'organisations -syndicats, associations, organes de
presse... mais pas de partis politiques.
Témoignage oral de Geneviève Coiffard-Grosdoy lors de la journée internationale de dénonciation publique contre les violences d'Etat
1- La police et la justice, instruments du pouvoir d’État
La police et la justice sont des instruments de l’État. Si celui-ci, par certaines lois et règlements, garantit un minimum de droits aux plus faibles (éducation...), il n'en reste pas moins, globalement, au service des dominants, de leurs intérets, de leurs projets...
Cependant, les citoyens ont un droit et un devoir!) de regard sur la manière dont la police et la justice remplissent leur mission. Par exemple, il est inconcevable que des propos des juges, procureur... puissent être inaudibles lors d'auditions au tribunal, comme nous l'avons constaté tant de fois : la justice est rendue au nom du peuple français, qui doit pouvoir entendre ce qui se dit et se juge en son nom !
Il faut combattre les dérives de la police et de la justice, sans rêver de leur destruction, parfaitement illusoire. Tout au plus peut-on essayer de les contrôler... moins mal.
2- Légalité/légitimité
La législation évolue, bien des actes deviennent légaux après avoir été seulement légitimes, et après un dur combat pour obtenir cette légalité : rappelons qu'en 1920, la loi a interdit toute information sur la contraception (il fallait repeupler la France après la boucherie de la grande guerre). Pendant la deuxième guerre, le régime de Pétain a institué et appliqué la peine de mort pour les femmes qui interrompaient une grossesse, ou aidaient à en interrompre une. Il a fallu de durs combats sur plusieurs décennies pour que le droit de choisir leurs maternités puisse être reconnu aux femmes. Le légitime est alors devenu légal !
Lors de la manifestation du 17 novembre des dizaines de milliers de personnes ont assumé la participation à une action de réoccupation illégale, mais identifiée comme totalement légitime ; elles ont participé avec enthousiasme au transport de planches et de matériaux divers.
Gageons que sur Notre Dame des Landes, après l'abandon du projet, nous allons être capables de créer de nouvelles légitimités puis légalités, d'inventer des modes nouveaux de mise en valeur coopérative des terres, de gestion de propriétés collectives... Peut-être, en plus de la victoire contre l'aéroport, allons-nous faire avancer l'occupation de maisons vides et la mise encultures de terres abandonnées de la légitimité vers la légalité...
3- L’illégalité d'une action ne saurait justifier la violence policière
Les flics sont réputés formés à assurer le "maintien de l'ordre" (et donc, de leur point de vue, et celui de l’État, l'interruption d'une action illégale), ils ont mission de le faire dans le respect des personnes et de leur intégrité physique. Ils nous bassinent d'ailleurs sur le fait qu'ils sont là pour notre "sécurité". Nous savons ce qu'il en est.
4- La violence policière n'est pas non plus "justifiée" par des comportements particuliers d'auteurs d'actes illégaux :
Le fait, lors d'actions illégales, d'avoir un look un peu rebelle, d'être cagoulé, de prendre des moyens de défense (masques contre les lacrymogènes...) n'est pas non plus une justification de la violence des GM, lesquels, bien souvent, utilisent ces comportements comme "justificatif" de leur violence par rapport à l'opinion publique. Si, personnellement, j'ai toujours milité "à visage découvert et à mains nues", je conçois que l"opposition au fichage et au flicage que nous vivons conduisent certains à se masquer le visage ; ce choix, que je ne partage pas, car il suscite fréquemment de violentes réactions négatives, et parce que je pense qu"il faut assumer ses actes en toutes circonstances, ne justifie en rien un surcroît de répression.
5- Celle que nous avons connue à Nddl a atteint des sommets peu courants
Les blessures infligées (voir le témoignage du Docteur Stéphanie L) les 23, 24 et 25 novembre, pendant des jours de violence à l"initiative des policiers, à des personnes désireuses d"empêcher les expulsions/destructions, ces blessures, donc, devraient révolter toutes les personnes humaines de France et d"ailleurs.
6- La violence policière frappe tout le monde, et parfois s'exerce aussi hors de tout contexte délictueux
Ce fut le cas face aux milliers de personnes criant leur révolte les 23 et 24 novembre.
C'est aussi ce que j'ai subi le mardi 23 octobre 2012 (juste une semaine après le début de l'opération César, au lieu-dit "La Gaieté" sur Notre Dame des Landes. J'en dirai peu de choses, une plainte étant en cours.
J'avais vécu, avec ses habitants, l'évacuation de la maison le 16 octobre au matin... L'action de filmer, le 23 octobre, la destruction du toit de la maison (destruction sous surveillance policière) n'avait RIEN D'ILLEGAL. Je m'étais d'ailleurs trouvée sur les lieux parce que nous étions venus à plusieurs rassembler des génisses dispersées après destruction de clôtures par les gardes mobiles... Aucune sommation légale, juste quelques cris : pas de film, pas de photos... d'un gradé, auxquels j'ai très consciemment refusé d'obéir ! Et j'ai haussé le ton pour que B. qui filmait également puisse, peut-être, enregistrer ce qui allait se passer, ou avoir au moins le son. J'ai été ceinturée par derrière (je m'y attendais) et me suis fait arracher mon caméscope (qui n'était pas tenu à ma main par une dragonne), avec torsion de la main gauche : douleur très vive et claquement sec ne m'ont guère laissé de doute sur l'existence de dégâts. J'ai crié "salaud"... et autres, toujours délibérément, et affirmé que je m'étais fait abîmer la main (pour ne pas m'entendre dire que ça avait eu lieu plus tard dans la soirée).
Il existe effectivement une vidéo réalisée par B., qui n'a pas été mise sur internet, ni visionnée publiquement, puisqu'elle doit être utilisée au tribunal. Elle est très suffisamment éloquente sur les faits.
Nous avons crié et discutaillé pas mal pour récupérer le caméscope, ce qui fut fait, mais sans la carte numérique support des enregistrements. Ce qui nous prive peut-être de moyens d'identification du GM auteur de l'agression, et peut constituer un détournement de preuve.
Je suis allée ensuite pour constat voir un médecin, puis le lendemain 24 à l’hôpital de Saint-Nazaire, qui a diagnostiqué fracture et m'a fait un certificat de 21 jours d'ITT (incapacité totale de travail). Après immobilisation, je suis encore en rééducation, et continue à souffrir de ma main gauche, toujours déformée.
Je suis allée porter plainte le jeudi 25 octobre à la gendarmerie de Blain, où j'ai été très fraîchement accueillie...
J'y ai affirmé ma conviction qu'il n'y avait pas besoin de casser pour la "maîtriser", une femme de 65 ans de taille et corpulence plutôt modeste, armée d'un seul caméscope.
M. le Moigne sera mon avocat, et la Ligue des droits de l'homme est informée tant des faits que de la plainte … et des conditions de son dépôt.
7- Oui, il faut porter plainte face aux violences policières, à chaque fois que cela est possible
Certains peuvent estimer que compter sur la justice face à la police est totalement peine perdue. Pour ma part, je pense qu'il faut essayer de jouer des contradictions entre les différentes institutions théoriquement garantes de l'état de droit, et tenir compte du fait que tout les membres de ces institutions n'ont pas forcément les mêmes réactions..
La plainte que j'ai déposée vise à faire reconnaître précisément, par la justice, la violence et les dysfonctionnements de la police : au delà des "intentions" du GM impliqué, qu'il ait surestimé sa force en tordant un peu trop fort, réglé des comptes... sur ordre... à une personne nommément désignée, ou que sais-je..., c'est la responsabilité des gradés et des donneurs d'ordre qu'il importe de faire apparaître au grand jour au cours d'un procès, et c'est le seul moment possible. Avoir la peau d'un individu mal formé, mal dirigé... a peu d’intérêt, même si une sanction s'impose.
Nous ferons tout pour l'obtenir. Dans tous les cas, la tenue d'un procès, bien préparé, peut servir de révélateur ; et personne parmi nous ne laissera dire, j'imagine, que c'est la faute à pas de chance, ou à mon outrecuidance...
Il est certain que toutes les personnes ne sont pas en conditions comparables pour porter plainte contre l’État (plainte qui risque de durer plusieurs années). Il est compréhensible que certains des jeunes n'aient pas souhaité être identifiés en portant plainte après de très sérieuses blessures. Les raisons d'une fragilité peuvent être nombreuses : famille, travail (en cours dans le privé ou la fonction publique, recherché en période de chômage...), crédits en cours, mandats politiques ou associatifs... Raison de plus pour que les personnes qui le peuvent assument une plainte contre l’État. J'en fait partie, je ne suis pas en situation particulièrement vulnérable, car, à 65 ans, en tant que retraitée, mes ressources ne dépendent plus d'un emploi ni d'un employeur, mes enfants sont élevés, je n'ai pas d'emprunts à rembourser...
Mais il faudra ferrailler collectivement pour que ce procès ait lieu, et qu'il soit l'occasion d'une tribune politique principalement contre la violence d’État, mais aussi sur la légitimité de nos actions contre l'aéroport. J'avoue que j'aurais mille fois préféré répondre au tribunal d'actes illégaux quoique légitimes (j'en ai pris ma part !), plutôt que d'y aller en plaignante, et victime de blessures... dont j'ignore à ce jour les traces qu'elles pourront laisser. On ne choisit pas...
8- En guise de conclusion
Chacun selon ses moyens et situation doit individuellement lutter contre la violence d’État, mais l'action collective est primordiale dans ce combat, on ne doit rien laisser passer.
Et on n'lâche rien !
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